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World Press Photo : le reportage scandaleux

Le jury du concours de photojournalisme a pris la décision de reprendre le prix qu’il a donné à Charleroi suite à plusieurs dénonciations de nombreux professionnel.

Le World Press Photo a décidé de retirer le prix attribué au photographe Giovanni Troilo dans la catégorie « Problématique contemporaine ». Le photographe aurait fait concourir une photo de montage. La série de photo que le photographe a présentée devait présenter la pauvreté et la désindustrialisation. Les personnages qui y sont représentés sont violents, malades et perverses. En tout, les photographies représentaient des scènes que le maire de la ville considérait comme choquantes. Il a d’ailleurs adressé une lettre aux administrateurs de World Press Photo pour dénoncer les travaux du photographe. IL estime que Giovanni Troilo « est une sérieuse déformation de la réalité qui porte préjudice à la ville de Charleroi et à ses habitants ».

Le reportage a également créé plusieurs polémiques au sein de la profession. «Dès son annonce, j’ai été choqué par la décision du jury » a expliqué Thomas Van Den Driessche, un photographe belge d’Out of Focus. «Je connais bien Charleroi, j’ai des amis qui y vivent. J’ai vite senti que ce travail était un procès à charge contre la ville, et que plusieurs photographies avaient manifestement été mises en scène.» Le photographe belge a été plusieurs fois récompensé par le World Press avec Bruno Stevens.

Il y a différents détails qui sonnent faux, comme le fait que plusieurs personnages des photographies sont des membres de la famille du photographe. Puis, les photographies ne représentaient pas réellement Charleroi, puisqu’en réalité, le studio du photographe se trouve à Bruxelles dans la commune de Monebeek, une information qui a embarrassé le World Press. Suite à cela, le World press a ouvert une autre enquête concernant le travail du photographe. Le lendemain de la remise des prix, le jury a décidé de lui enlever le titre à cause d’une erreur factuelle. «Je respecte la décision du jury », a-t-il déclaré «Mais le motif me dérange. L’année dernière, plusieurs travaux primés contenaient des erreurs factuelles similaires, et ils n’ont pas été sanctionnés pour autant.»

«C’est une simple erreur factuelle que je regrette. Je ne l’ai admis dès le départ, et je l’ai même signalée au World Press », ajoute-t-il. Il estime que le fait de ne pas avoir pris la photo à Charleroi n’est pas un problème pénalisant. «Je l’ai faite à Molenbeek qui est une ville minée par la pauvreté et les tensions identitaires. C’est là que les frères Kouachi ont trouvé leurs armes et leur voiture. On reste dans le cœur noir de l’Europe, et c’est cela qui m’intéresse.» Sauf que ces explications ne convainquent pas Thomas Van Den Driessche, qui estime que son argument ne tient pas debout. Il fait beaucoup de reproches au photographe qui a demandé à sa famille de poser pour lui dont un de ses cousins qui s’apprêtent à faire l’amour sur un parking public. «Sur les dix images primées, on trouve soit des proches du photographe, soit des personnes qui ont été trompées, car elles pensaient poser devant un artiste. On est dans un procédé malhonnête, rien ne tient debout», ajoute Thomas Van Den Driessche.

«Il n’y avait pas qu’une seule erreur factuelle sur un nom de ville. Tout le sujet était bidon.»

Ce qui est sûr c’est que cette histoire laissera des traces dans le milieu du photojournalisme «Le World Press s’est décrédibilisé », déclare Jean-François Leroy, directeur du festival de photojournalisme Visa pour l’image. Face à cette situation, il avait annoncé que l’exposition traditionnelle des photographes récompensés n’aurait pas lieu cette année. «Le prix a certes été annulé, mais pour de mauvaises raisons. Il n’y avait pas qu’une seule erreur factuelle sur un nom de ville. Tout le sujet était bidon. Le vrai problème, c’est qu’il a été mis en scène », continue-t-il. De son côté, Thomas Van Den Driessche souhaite que la polémique favorise la remise en question du World press mais surtout du photojournalisme. «Jusqu’où peut-on modifier une image, la mettre en scène ? Peut-on faire une confiance aveugle à tous les photographes qui présentent leur travail au concours ? Il faut absolument ouvrir un débat au World Press.»

A propos de l'auteur

Stephanie Dumont