Le conflit dans le Donbass, entre prorusses et loyalistes, continue d’enfoncer l’Ukraine dans le marasme économique qu’elle connait depuis deux ans maintenant. Tandis que les grandes agences de notation se succèdent pour abaisser la note du pays, Dmytro Firtash plaide pour une remise à plat des échanges commerciaux entre Kiev et Moscou, seule manière de sortir l’Ukraine de la crise économique.
Le dossier ukrainien revient sur le devant de la scène médiatique. Alors que les résultats de l’enquête néerlandaise sur le crash de l’avion MH-17, le 17 juillet 2014, dans l’est de l’Ukraine, ont été publiés mardi 13 octobre, la « guerre du gaz » entre Kiev et Moscou vient de connaître un léger apaisement. Gazprom, le géant russe de l’énergie, a annoncé, lundi 12 octobre, la reprise de ses livraisons de gaz vers l’Ukraine, à l’arrêt depuis le 1er juillet dernier. S’il faut se féliciter de cet accord, tandis que les températures hivernales ne vont pas tarder à arriver, certains spécialistes font tout de même grise mine. Selon les analystes de la banque VTB Capital, l’Ukraine ne pourra stocker, d’ici fin octobre, que le « minimum absolu » nécessaire pour assurer le transit vers l’Union européenne (UE) – ultradépendante du gaz russe –, et à peine assez pour sa consommation personnelle. La situation énergétique est donc encore très instable, tout comme l’est la situation économique du pays.
La dette ukrainienne de plus en plus insoutenable
Le 6 octobre dernier, l’agence de notation financière Fitch a imité son homologue américaine Standard & Poor’s (S&P’s), qui avait décidé, fin septembre, de placer l’Ukraine en « défaut sélectif » de paiement, Kiev n’ayant pas remboursé une émission obligataire de 500 millions de dollars arrivée à échéance. Les analystes de S&P’s avaient alors abaissé la note de la dette ukrainienne de CCC- – catégorie spéculative très risquée – à SD (selective default). L’agence anglaise vient donc de faire de même : observant la même carence dans le remboursement d’une partie de sa dette par l’Ukraine, Fitch a abaissé la note du pays à RD (restricted default), soit le dernier pallier avant le défaut complet.
Le 27 août dernier, pourtant, Kiev avait annoncé un plan de restructuration de sa dette, approuvé par le Parlement national le 17 septembre, et qui prévoyait d’effacer jusqu’à 20 % de son endettement – soit 18 milliards de dollars. Christine Lagarde, la présidente du Fonds monétaire international (FMI) – qui suit de près la santé économique de l’Ukraine depuis le début des affrontements dans l’est du pays –, s’était même félicitée de l’adoption d’un tel plan, appelant les créanciers à accepter l’accord de restructuration. « Il appartient véritablement à tous les créanciers de tirer parti de cette restructuration de la dette », avait alors affirmé l’ex-Garde des Sceaux française. « Nous pensons que c’est un très bon arrangement et nous doutons fort qu’on puisse obtenir mieux. »
Des croyances très éloignées de celles des analystes de Fitch, pour qui les propositions faites par Kiev « représentent un échange de titres sous la contrainte (…) qui aboutira à des pertes pour les détenteurs de titres, et destiné à éviter un défaut » du pays. Ce vers quoi, manifestement, il se dirige, tandis que certains créanciers devaient se réunir le 14 octobre pour examiner la situation.
« L’Ukraine a besoin d’un plan Marshall » comme celui proposé par l’AMU
Il paraît donc urgent de trouver un – voire des – remède(s) aux maux économiques que connait l’Ukraine. Le Premier ministre, Arseni Iatseniouk, et le président de la République, Petro Porochenko, pourraient décider de poursuivre les négociations avec Vladimir Poutine au sujet des livraisons du gaz russe. En effet, l’Ukraine représente l’une des seules voies d’accès commerciales entre l’UE et la Russie pour son acheminement, et en tire donc quelque bénéfice économique important. La décision de Gazprom de reprendre ses livraisons de gaz naturel vers l’Ukraine peut ainsi motiver les pouvoirs publics ukrainiens à négocier davantage avec Moscou – à des fins énergétique et économique donc. D’autant plus que le choix du géant russe fut motivé et permis, semble-t-il, par des raisons purement conjoncturelles : tandis que ses finances ne sont pas au beau-fixe – ceci étant dû à une faible production –, il est par ailleurs beaucoup plus intéressant aujourd’hui d’acheter en roubles qu’en dollars, la monnaie russe ayant été affaiblie par les diverses sanctions économiques occidentales. L’Ukraine doit donc s’affirmer sur le plan commercial vis-à-vis de son voisin. C’est en tout cas ce qu’espère Dmytro Firtash, l’homme d’affaires ukrainien à l’origine de l’Agence de modernisation de l’Ukraine (AMU).
Créée tandis que le conflit entre prorusses et loyalistes continuait d’enfoncer le pays dans le marasme économique, l’AMU s’est fixée un seul et unique but : sauver l’Ukraine de la banqueroute. Sa méthode : une équipe paneuropéenne, constituée de politiques et autres personnes influentes, chargée de rassembler quelque 300 milliards de dollars.« L’Ukraine a besoin d’un plan Marshall », expliquait en effet le député chrétien-démocrate allemand Karl-Georg Wellmann le 3 mars dernier. L’homme est cofondateur, avec Bernard-Henri Lévy et le député conservateur britannique Lord Risby of Havervill, de l’AMU, qui compte également dans ses rangs l’ancien ministre des Finances allemand Peer Steinbruck, l’ex-présidente du Medef Laurence Parisot, et le prix Nobel et ancien président de l’Afrique du Sud, Frederik de Klerk.
Dmytro Firtash, qui fit fortune grâce au marché du gaz naturel russe en Ukraine, estime que le pays peut se sortir de la crise par le biais des affaires. S’il apporte donc sa grande expérience sur la table de l’AMU, il regrette également que le gouvernement ukrainien ne partage pas sa vision des choses. « La vie nous enseigne qu’il est important d‘être un expert dans ce que l’on fait, et de comprendre comment les choses fonctionnent. Malheureusement, notre gouvernement a une compréhension très superficielle de l’ensemble du processus [d’approvisionnement du gaz] et ne peut pas apprécier pleinement les résultats de ses actions », avait-il expliqué lors d’une interview en février dernier. In fine, pourtant, tout le monde sortirait gagnant d’un apaisement, par la reprise des affaires, des relations entre les deux voisins russe et ukrainien. Les deux parties elles-mêmes, qui en tireraient des avantages énergétiques et économiques, mais également l’UE, dont l’approvisionnement en gaz dépend de la Russie.