lors que les fans continuent à se délecter de versions revisitées par l’IA, il est peut-être bon de se rappeler ce que l’intelligence humaine a fait dans ce magnifique album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club. Cet album reste une sorte de pierre angulaire de la musique pop et de la production de disques 33 tours. Pour les Beatles, il s’agit de faire place à plus d’ambition, à travers l’innovation, au travail sur le son, en lieu et place des recettes classiques et des prestations mal sonorisées couvertes par les hurlements de spectateurs.
Moins de tubes, plus de temps
Nous sommes au milieu des années 60 et les quatre garçons en ont un peu marre d’être dans le vent des tournées. Ils veulent poursuivre la tendance amorcée par leur dernier album « Revolver ». En cela, ils sont poussés par une équipe ambitieuse sous la houlette de leur producteur George Martin et leur ingénieur du son Geoff Emerick. Si de nombreux procédés sont nouveau pour l’époque, la recette est vieille comme le monde. Il s’agit de prendre son temps et comme le préconise Boileau « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ». Cet aussi un exemple assez rare ou l’apport de technique ne gâche pas une vraie spontanéité vivante.
Une musique de studio, pas de scènes
Ensuite, le groupe s’affranchit d’une obligation, aucune des chansons n’est destinée à être reproduite sur scène. Donc on peut y aller, a grands coups de manipulations diverses que ce soit instruments ou bandes, des bruitages, du mixage fou, et même des orchestrations symphoniques. On rajoute des fanfares, un montage sans cesse remanié aux grès des humeurs, etc, etc. Evidemment, le tout sans ordinateur, ni logiciel, ni effets numériques mais avec quatre pistes sur bande magnétique.
La mise en place de l’album-concept
Cela, c’est l’aspect technique, mais Sgt. Pepper’s veut aussi s’affranchir d’autres impératifs. Fini la recherche implacable de tubes, place a l’album-concept. Celui-ci se veut sur l’enfance des quatre Beatles à Liverpool. Loin d’être une simple volonté de création artistique, c’est aussi un choix économique. La distribution et la vente des disques ne sera pas la même. Il est plus difficile d’extraire des morceaux pour en faire des hits de 45 tours. Des négociations ont lieu finalement, 2 titres sortiront en 45 tours.
Qualité, plaisir et résultat
Finalement, toute l’équipe ne pourra évidemment pas aller complètement au bout de leurs visions. Il reste que l’album est un magnifique condensé de l’incroyable volonté d’innovation de l’époque. D’autres groupes ou artistes feront la même chose, mais avec des résultats et une diffusion plus restreinte. Les Beatles ont eu le pouvoir de mélanger avec bonheur innovation, imagination, rigueur et impact populaire.
Des trouvailles à foison
On ne lassera donc pas d’une introduction au mellotron. Cet instrument à clavier est le premier échantillonneur de sons. On réécoutera mille fois les 41 musiciens du très symphonique « A Day In The Life« . On ne s’apercevra évidemment pas des milles et une fois coupures juxtaposition ou mélanges des pistes, un vrai travail de fourmis laborieux, parfois juste pour voir ce que cela donne. A partir de la, prenez vos ciseaux et vos bandes adhésives. Certaines sont collées au guide-bande du magnétophone pour l’alourdir au risque de la faire sortir de son logement, et faire trembler le son du piano.
Le geste pour le geste
La fin de l’album résume bien cette volonté du geste pour le geste. À l’époque des 33-tours, certaines platines ne relevaient pas automatiquement le bras à la fin d’un disque. Un sillon vide permettait de laisser tourner l’aiguille même s’il n’y avait plus de musique à diffuser. Ce sillon va servir d’exutoire. On y enregistre des bêtises, des regrets, des énervements et de la vie. Sur 5 heures d’improvisations en studio, quelques secondes, sont prélevées. Ce moment figure sur les enregistrements, sur le CD mais il perd de son impact. Cette fois, ce sera un peu plus de technique pour un peu moins de vie.
Crédit photo : fedor